Le cuir et l'industrie du cuir


De l'artisanat à la marchandise. Le cuir et l'industrie du cuir.

Tiré de The Animals' Agenda (sept-oct. 1988)


Le travail du cuir remonte au moins à 600000 ans, quand les premiers êtres humains ont fabriqué des outils pour façonner et assouplir la peau animale. A cette époque le cuir était utilisé pour faire des couvertures pour recouvrir le sol des cavernes, couvrir les huttes, fabriquer les coques de bateaux, des boucliers et des casques de protection, et bien sûr pour les vêtements. Les premiers pagnes, chaussures, corsets, ceintures, brassards, tabliers et haut-de-chausses étaient en cuir. La plupart des premiers édits des gouvernements et des églises ont été écrit sur des parchemins faits de peau de chèvre et de mouton.

L'art primitif et médiéval utilisait le cuir; et quelques-unes des premières formes de monnaie ont consistées en inscriptions sur du cuir ou en pièces de cuir où des valeurs étaient gravées. Le cuir a parfois été utilisé comme nourriture à certains moments de l'Histoire.

Durant le voyage de Magellan vers le Pacifique en 1611, la réserve de nourriture de ses navires épuisée, l'équipage dû faire bouillir et consommer toutes les choses faites en peau animale afin de survivre, comme le firent des dizaines de milliers de paysans chinois quand une famine se déclara au XVIeme siècle.

Cependant ce qui fut pendant des siècles un artisanat familial, un art et un moyen de survie pour des populations indigènes est maintenant devenu une affaire hautement profitable, laquelle dépend chaque année de la mort de million d'animaux.

Le cuir a été transformé d'article de subsistance en article de statut, d'article de protection en accessoire de mode et d'artisanat communautaire en marchandise pour le marché.

Une seule Rolls Royce, par exemple, nécessite aujourd'hui pour sa garniture intérieure huit peaux entières de bétail élevé spécialement pour cela. Avec les vêtements et autres équipements, le "chic" est privilégié par rapport au confort et la mode prévaut sur l'utilité à cause de l'industrie.

C'est à tel point que le cuir en tant que "baromètre de la civilisation" mesure maintenant le point auquel nous sommes parvenus, changeant les animaux en marchandises.

En 1611, Thomas Gates et d'autres parmi les premiers colons introduisirent le bétail aux États-Unis, et en 1623, Experience Mitchell établit la première tannerie près de Plymouth (Massachusetts) où l'on trouvait en abondance une espèce d'arbre dont l'écorce était utilisée en tannerie.

Les tanneries étaient alors constituées seulement de plusieurs grandes cuves dans le sol et d'un atelier situé à côté avec une chaudière pour sécher et corroyer le cuir.

A l'inverse d'aujourd'hui, le cuir était produit uniquement pour couvrir les besoins locaux, et la plupart des dépouilles et des peaux provenaient d'animaux sauvages qui avaient été chassés et tués pour la nourriture.

Comme les colonies se développèrent le nombre de tanneries augmenta; en 1795 elles étaient au nombre de 2400; en 1850, 6600 existaient; et en 1870 le nombre s'accrut jusqu'à atteindre 7500.

L'ère moderne de la "fabrication du cuir" débuta brusquement au milieu du XIX° siècle avec le développement de nouvelles technologies et machines. Peut-être que le plus significatif bond en avant pour son essor industriel fut la découverte du tannage au chrome - dans lequel des sels minéraux remplaçaient le tannin d'écorce d'arbre parce qu'ils permettaient la fabrication de cuir léger et multicolore. L'introduction et l'utilisation à grande échelle de produits chimiques ont eu plusieurs autres effets : elles réduisirent la perte de peau, raccourcirent le temps de tannage, apportèrent désormais des méthodes pour contrôler l'assouplissement des peaux avec de l'acide, et ouvrirent de nouvelles possibilités de teinture, de séchage et de finition du produit.

Ces changements, en retour, augmentèrent le profit lié à la fabrication du cuir et aidèrent à créer un grand marché pour celui-ci.

Après des milliers d'années d'artisanat, la fabrication du cuir devint virtuellement du jour au lendemain une industrie accompagnant la centralisation, la mécanisation et la standardisation altérant d'une façon drastique la nature de ce métier.



VIANDE CONNECTION

L'industrie du cuir est intimement liée à l'industrie de l'abattage. Le mariage était initialement de convenance, car la croissance des parcs à bestiaux et le développement des aliments pour animaux fit des peaux un sous-produit logique de l'abattage, mais il devint peu à peu une affaire plus "incestueuse".

Les plus gros détaillants de viande non seulement devinrent grossistes en peaux, mais ils ouvrirent aussi leurs propres tanneries.

Depuis que le cuir est un sous-produit de l'abattage, l'approvisionnement en peaux n'est plus directement lié à la demande pour telle ou telle sorte de peau. C'est plutôt la quantité et le type de viande que les gens mangent qui détermine l'approvisionnement en tel ou tel type de cuir.

On ne peut, cependant, conclure de cette information que l'achat de produits en cuir n'a aucun impact sur l'industrie de la viande .

C'est l'inverse qui est vrai, parce que le prix de vente d'un animal à l'abattoir est très proche du prix de vente de la viande de cet animal. En règle générale, les profits et les dépenses peuvent venir de la vente des sous-produits, le cinquième quartier de la bête: os, cornes, pattes pour faire de la gélatine qui sera vendue aux industries du film et de la photo et aux industries pharmaceutiques; poil pour les pinceaux; soies pour les brosses à dents, filtres à air, matelas et rembourrage de meubles, le sang pour faire de la nourriture pour les animaux de compagnie, des fertilisants et des médicaments comme la thrombine et la fibrinolysine ; peau transformée en cuir.

Les fabricants ont souvent un taux considérable de leur capital engagé dans les peaux puisque le salage de celles-ci prend environ un mois dans un bain de sel, et leur valeur est généralement entre 5 et 10% de celle de la viande. Ainsi une réduction de l'achat de cuir par les consommateurs peut avoir un effet significatif sur les fondements économiques à la fois des industries du cuir et de la viande.

Les dépouilles et les peaux du bétail, moutons et chèvres fournissent les principales sources de matières premières pour les tanneurs américains.

Elles proviennent principalement de plus de 35 millions de bovins qui sont abattus et consommés chaque année et des vaches laitières qui sont tuées une fois qu'elles ne sont plus rentables pour la production laitière.

Le box (cuir de veau) est un dérivé de l'industrie laitière et de la viande de veau qui soumet les animaux, dans toutes les fermes industrielles, à quelques-unes des conditions les plus inhumaines qui soient.

La peau d'un veau mort-né, obtenu au cours de l'abattage d'une vache gestante, fourni des prix particulièrement élevés et est utilisée pour faire de la suédine.

La plupart des peaux de mouton vient d'Australie et de Nouvelle-Zélande quand les "vieux" moutons à laine sont abattus pour la boucherie.

Comme pour les industries du boeuf ou du lait, le commerce de la laine cause la souffrance de millions d'animaux, avant qu'ils ne soient tondus et dépecés. Les moutons, par exemple, sont couramment transportés sans nourriture ni eau dans une chaleur ou un froid extrêmes et tellement à l'étroit qu'il en résulte souvent des membres cassés, des blessures aux yeux ou la mort.

Les peaux sont vendues à l'étape du décapage et utilisées pour faire des carpettes, des sièges et des produits similaires.

Les cochons, aussi, sont des animaux utilisés non seulement pour leur viande mais pour leur peau. Le sanglier ou pécari est d'autre part "converti" en produits de cuir plus résistants, incluant gants, vêtements et chaussures.

Le cheval est parmi les autres animaux domestiques celui dont la peau est la moins utilisée par l'industrie du cuir...



ANIMAUX EXOTIQUES, PRODUITS DE LUXE

Beaucoup d'animaux sauvages menacés, appelés aussi animaux exotiques, tels que les autruches, les requins, kangourous, éléphants, tortues et grenouilles, sont aussi tués pour fabriquer des produits de luxe et de mode en cuir. Parmi ceux-ci, les objets en peau de kangourou ou de requin sont vendus sur le marché commercial en grande quantité.

La peau de requin est solide et résiste à l'abrasion, et est utilisée pour les chaussures et ceintures d'hommes et les chaussures d'enfants.

Les marchandises en kangourou sont issues de deux à trois millions d'animaux abattus chaque année à la suite du "Plan national de gestion des kangourous" approuvé par les ministres australiens du Conseil de Conservation de la Nature. La viande de kangourou est transformée en nourriture pour les animaux familiers et la peau finit en chaussures de sport, sacs de golf et ceintures. Les gouvernement australien autorise la tuerie sous le prétexte que cet animal broute l'herbe dont les vaches et les moutons ont besoin. Comme Paul et Anne Erlich l'ont souligné dans leur livre Extinction, "Beaucoup d'excuses avancées pour tuer les kangourous, spécialement par les herbagers, sont liées à leur fausse conception de l'impact des kangourous sur les pâtures que les éleveurs eux-mêmes ont souvent épuisées en y faisant paître les moutons.

Mais la principale raison est une fois de plus la cupidité mélangée à une absence de compassion." Les USA sont l'un des plus importants marchés du monde pour les produits faits en kangourou, fournissant une raison économique pour continuer la tuerie.

Parmi d'autres animaux tués pour faire du cuir il y a de nombreuses espèces de serpents, tel que le python, le boa constrictor, le serpent d'eau et le cobra, dont la peau a une importante valeur commerciale. Les serpents sont piégés dans la nature et souvent éventrés et dépecés vivants, procédé qui précède le salage et le séchage de la peau et qui est extrêmement douloureux pour les animaux.

Dans le sud des Indes, les chasseurs tentent de tuer les membres d'une des espèces de serpents en préservant la peau en frottant du tabac sur les yeux du reptile, mais cette pratique paralyse probablement seulement les animaux et les indigènes arrachent les peaux immédiatement après l'administration de la substance.

L'autruche, originaire d'Afrique, est maintenant abattue pour la viande et pour la peau.

La peau -qui est utilisée pour fabriquer des chaussures, valises, sacs et sacs à main- atteint un prix élevé et rend l'élevage d'autruches très profitable.

La peau du devant de la jambe de l'animal est spécialement vendue pour la production de coûteux sacs à main pour les femmes.

En Afrique du Sud, une nouvelle génération de millionnaires est en train de voir le jour dans la ville d'élevage d'autruches de Oudshoorn, dans la partie sud du Cap, où les barons de la plume vivaient au début du siècle.

Le dernier développement planifié pour cet endroit est un abattoir qui pourra traiter 700 oiseaux par jour. Ainsi les éleveurs d'autruches utilisent des incubateurs énormes capables de couver 30.000 oeufs à la fois.

Deux espèces d'animaux sauvages particulièrement exploitées pour leur peau sont l'alligator et le crocodile qui sont tués dans les eaux d'Afrique et d'Amérique du Sud, sur les îles du sud-est Asiatique et, dans le cas des alligators, dans les marais de Floride, de Louisiane et du Texas.

Afin de rendre les peaux utilisables les peauciers coupent directement dans le ventre des plus petits alligators et crocodiles, et conservent la peau de leur dos, tandis que les plus gros animaux sont cisaillés sur le dos et la partie ventrale conservée....

Quoique protégé comme espèce en danger aux États-Unis, les alligators sont maintenant légalement chassé dans certains états du Sud.

Bien que la plupart des tanneries de reptiles soient concentrées en Europe et en Extrême -Orient, il y a selon Gay Wilson, patron de la Floride Reptile Tanning Inc. "100 acheteurs pour chaque peau dans le monde entier. La demande submerge même la capacité de fournir''. Un fait qui ne présage rien de bon pour le royaume des reptiles....



IMPACT SUR L'ENVIRONNEMENT

En plus d'être responsable de l'abattage de millions d'animaux chaque année, l'industrie du cuir -comme celle de l'élevage industriel- est responsable de beaucoup de dégâts sur l'environnement. Le tannage a la réputation non enviable d'être l'une des industries les plus immondes et nauséabondes. Cette réputation repose sur des caractéristiques des villages de tannerie vieilles de 100 ans mais qui persistent encore.

Avec l'expansion dans les zones urbaines de l'industrie sous forme d'usines modernes hautement mécanisées, le problème est devenu plus aigu. Dans la ville de l'Est-Kentuky, Middelsboro, par exemple, les eaux usées venant de la Middelsboro Tanning Company ont détruit la majeure partie de la vie aux alentours de Yellow Creek et pollué l'eau à un tel point qu'il est dangereux de la boire.

Des études conduites par " The US Centers for Disease Control" ont conclu que le taux de leucémie parmi les gens qui utilisent le ruisseau comme source d'eau potable est 5 fois plus important que la moyenne nationale, et des tests réalisés sur le même groupe ont montré une augmentation du taux des maladies hépatiques et cardiaques, de cancers et de troubles gastro-intestinaux. Comme beaucoup d'autres usines de tannage, l'usine de Middelsboro a pollué l'eau depuis le début du siècle, rejetant dans le courant du zinc , du formol, des colorants, des composés chimiques à base de cyanure, et d'autres substances dangereuses. La Middelsboro Tanning Company est, en fait, l'une des plus petites tanneries aux USA, et le problème existe dans l'industrie du cuir toute entière...