CITATIONS D'AUTEURS


CITATIONS D'AUTEURS


Quelle est donc cette différence essentielle qui distingue qui distingue l'homme de l'animal?

A cette question, la plus simple et la plus générale des réponses, mais aussi la plus populaire est: c'est la conscience.

Mais la conscience au sens strict; car la conscience qui distingue le sentiment de soi, le pouvoir de distinguer les objets sensibles, de percevoir et même de juger les choses extérieures sur des indices déterminés tombant sous les sens, cette conscience ne peut être refusée aux animaux.

La conscience entendue dans le sens le plus strict n'existe que pour un être qui a pour objet sa propre espèce et sa propre essence ...

Etre doué de conscience, c'est être capable de science. La science est la conscience des espèces...

Or seul un être qui a pour objet sa propre espèce, sa propre essence, est susceptible de prendre pour objet, dans leur signification essentielle, des choses et des êtres autres que lui.

C'est pourquoi l'animal n'a qu'une vie simple et l'homme une vie double: chez l'animal la vie intérieure se confond avec la vie extérieure, l'homme au contraire, possède une vie intérieure et une vie extérieure.

Ludwig FEUERBACH, Manifestes philosophiques



Ce n'est qu'au XVIIIe siècle, dans la "société bourgeoise" que les différentes formes de l'ensemble social se présentent à l'individu comme un simple moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité extérieure.

Mais l'époque qui engendre ce point de vue, celui de l'individu isolé, est précisément celle où les rapports sociaux (revêtant de ce point de vue un caractère général) ont atteint le plus grand développement qu'ils aient connu.

L'homme, est, au sens le plus littéral un "zoon politikon, (animal politique) non seulement un animal sociable, mais un animal qui ne peut s'isoler que dans la société.

La production réalisée en dehors de la société par l'individu isolé ­ fait exceptionnel qui peut bien arriver à un civilisé transporté par hasard dans un lieu désert et qui possède déjà en puissance les forces propres à la société ­ est chose aussi absurde que le serait le développement du langage sans la présence d'individus vivant et parlant ensemble.

Inutile de s'y arrêter plus longtemps.

Il n'y aurait aucune raison d'aborder ce point si cette niaiserie, qui avait un sens et une raison d'être chez les gens du XVIIIe siècle, n'avait été réintroduite très sérieusement par Bastiat, Carey, Proudhon, etc., en pleine économie politique moderne. "

Karl MARX, Introduction générale à la critique de l'économie politique



Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu'il me souvienne l'horreur des tortures infligées aux bêtes.

Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants cherchant à s'enfouir sous la terre, jusqu'à l'oie dont on cloue les pattes, jusqu'au cheval qu'on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l'homme.

Et plus l'homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent.

Louise MICHEL, Mémoires



Ah! ma petite Sonia, j'ai éprouvé ici une douleur aiguë.

Dans la cour où je me promène arrivent tous les jours des véhicules militaires bondés de sacs, de vielles vareuses de soldats et de chemises souvent tachées de sang...

On les décharge ici avant de les répartir dans les cellules où les prisonnières les raccomodent, puis on les recharge sur la voiture pour les livrer à l'armée.

Il y a quelques jours arriva un de ces véhicules tiré non par des chevaux, mais par des buffles.

C'était la première fois que je voyais ces animaux de près.

Leur carrure est plus puissante et plus large que celle de nos boeufs ; ils ont le crâne aplati et des cornes recourbées et basses ; ce qui fait ressembler leur tête toute noire avec deux grands yeux doux plutôt à celle des moutons de chez nous.

Il sont originaires de Roumanie et constituent un butin de guerre...

Les soldats qui conduisent l'attelage racontent qu'il a été très difficile de capturer ces animaux qui vivaient à l'état sauvage et plus difficile encore de les dresser à traîner des fardeaux.

Ces bêtes habituées à vivre en liberté, on les a terriblement maltraitées jusquà ce qu'elles comprennent qu'elles ont perdu la guerre : l'expression vae victis s'applique même à ces animaux... une centaine de ces bêtes se trouveraient en ce moment rien qu'à Breslau.

En plus des coups, eux qui étaient habitués aux grasses pâtures de Roumanie n' ont pour nourriture que du fourrage de mauvaise qualité et en quantité tout à fait insuffisante.

On les fait travailler sans répit, on leur fait traîner toutes sortes de chariots et à ce régime ils ne font pas long feu.

Il y a quelques jours, donc, un de ces véhicules chargés de sacs entra dans la cour.

Le chargement était si lourd et il y avait tant de sacs empilés que les buffles n'arrivaient pas à franchir le seuil du porche.

Le soldat qui les accompagnait, un type brutal, se mit à les frapper si violemmment du manche de son fouet que la gardienne de prison indignée lui demanda s'il n'avait pas pitité des bêtes.

Et nous autres, qui donc a pitité de nous? répondit-il, un sourire mauvais aux lèvres, sur quoi il se remit à taper de plus belle...

Enfin les bêtes donnèrent un coup de collier et réussirent à franchir l'obstacle, mais l'une d'elle saignait... Sonitchka, chez le buffle l'épaisseur du cuir est devenue proverbiale, et pourtant la peau avait éclaté. Pendant qu'on déchargeait la voiture, les bêtes restaient immobiles, totalement épuisées, et l'un des buffles, celui qui saignait, regardait droit devant lui avec, sur son visage sombre et ses yeux noirs et doux, un air d'enfant en pleurs.

C'était exactement l'expression d'un enfant qu'on vient de punir durement et qui ne sait pour quel motif et pourquoi, qui ne sait comment échapper à la souffrance et à cette force brutale...

J'étais devant lui, l'animal me regardait, les larmes coulaient de mes yeux, c'étaient ses larmes.

Il n'est pas possible, devant la douleur d'un frère chéri, d'être secouée de sanglots plus douloureux que je ne l'étais dans mon impuissance devant cette souffrance muette.

Qu'ils étaient loin les pâturages de Roumanie, ces pâturages verts, gras et libres, qu'ils étaient inaccesibles, perdus à jamais.

Comme là-bas tout - le soleil levant, les beaux cris des oiseaux ou l'appel mélodieux des pâtres - comme tout était différent.

Et ici cette ville étrangère, horrible, l'étable étouffante, le foin écoeurant et moisi mélangé de paille pourrie, ces hommes inconnus et terribles et les coups, le sang ruisselant de la plaie ouverte...

Oh mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous deux aussi impuissants, aussi hébétés l'un que l'autre, et notre peine, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être.

Pendant ce temps, les prisonniers s'affairaient autour du chariot, déchargeant de lourds ballots et les portant dans le bâtiment.

Quant au soldat, il enfonça les deux mains dans les poches de son pantalon, se mit à arpenter la cour à grandes enjambées, un sourire aux lèvres, en sifflotant une rengaine qui traîne les rues.

Et devant mes yeux je vis passer la guerre dans toute sa splendeur...

Rosa LUXEMBOURG, Ecrits de prison